Nous sommes le vendredi 11 mai, il est environ 21h15. Je reçois une notification sur mon téléphone pour une possible aurore boréale visible depuis l’Aveyron. J’avais installé une appli (aurore pro sur Android) il y a quelques mois car des aurores étaient probables en France, et c’est un sujet que j’avais envie de photographier si cela se produisait un jour par chez moi, comme la plupart des phénomènes que je peux observer dans le ciel depuis les alentours.
J’avais déjà reçu quelques notifications, mais depuis l’Aveyron je n’avais rien vu, en effet nous ne sommes pas dans une position géographique très propice aux aurores. je ne pensais plus à cette appli jusqu’à ce jour, où la notification m’indique un indique KP de 8 sur 9 de maximum! L’indice KP n’est pas le seul indicateur à regarder, mais je décide de m’y fier.
Les aurores étaient prévisibles depuis quelques temps vu l’activité solaire, sans trop de conviction je me décide à sortir voir, car la dernière fois cela n’avait vraiment rien donné. Je pars vers l’Aubrac, en me disant qu’avec l’altitude et une vue bien dégagée vers le nord j’aurai peut-être une chance d’apercevoir un petit quelque chose.
Arrivé vers Laguiole, je trouve les teintes du ciel un peu étrange, avec un drôle de rouge sombre. je pense que c’est sans doute les éclairages du village sur des nuages bas, mais il n’y a aucun nuage. A vrai dire le temps est idéal: pas de nuages et une bonne clarté du ciel sans humidité car le Cantal à 60 kilomètres se distingue facilement, aucun vent, et une température de 15°.
Je progresse sur l’Aubrac vers un coin bien sombre, et là le ciel devient incroyable. Vers le nord-nord/ouest c’est un dégradé de couleurs du jaune de l’horizon à un rouge profond sur une très grand partie du ciel. Cela s’étend même au sud de ma position par moments. Et ce n’est que le début de cette nuit qui va être longue.
Je savais que ce soir là un passage de ISS était prévu vers 23h35. Je l’avais au programmé au cas où il n’y aurait pas d’aurore à voir.
Au final j’en ai profité pour le combiner avec les lueurs de l’aurore et le buron auprès duquel je me trouvais. Je n’aurai sans doute pas beaucoup d’occasions de refaire une image similaire.
Je reste relativement longtemps sur ce site, en pensant que cela va se terminer rapidement, mais les lumières s’intensifient, et je décide d’aller photographier d’autres lieux de l’Aubrac.
Je traverse les bois de Laguiole, pendant ce temps en voiture je distingue les rais de lumière dans le ciel, quasiment au-dessus de moi. A la sortie de la forêt en arrivant sur la route de Saint Urcize, c’est un spectacle grandiose que je découvre. Je m’arrête auprès d’un grand classique de l’Aubrac avec le buron des Landes du Clapier, facile d’accès car situé au bord de la route. Je passe du temps à le photographier en lui tournant autour pour en profiter un maximum.
Sur tout l’horizon nord une arche de lumière se dessine, projetant des piliers blanchâtres jusqu’au dessus de moi. Entre minuit et 1h30 du matin, c’est encore plus intense et très visible à l’œil nu, avec des piliers de lumière couvrant une grande partie de l’horizon ouest-nord/est. Cela en devient même lumineux à éclairer légèrement le sol, en lui donnant une teinte rouge sombre,
Je précise que, me trouvant sur l’Aubrac, la pollution lumineuse des éclairages nocturnes est bien plus faible qu’à proximité de villes même petites comme Rodez, ce qui aide grandement à distinguer les nuances de couleurs présentes à ce moment dans le ciel.
J’arrive au Pas de Mathieu pour découvrir le même spectacle. Toujours personne autour de moi, à part un renard venu m’observer. je vois au loin la lumière du buron d’où proviennent les voix des personnes qui y passent la nuit. je me demande si elles sont en train de regarder le ciel?
Au Puy de Gudette, un autre de mes classiques. je cours de tous les côtés pour trouver un endroit sympa pour les photos. 😃
Puis je me rends au lac des Moines. Après avoir sans doute réveillé la plupart des campeurs-pécheurs qui passent la nuit sur le parking, ou alors garés dans l’herbe à quelques mètres de l’eau, je rejoins la rive afin d’obtenir le reflet de l’aurore sur le lac. J’aurais peut-être du pousser jusqu’à la digue pour trouver un meilleur angle, mais j’avais toujours la crainte que le phénomène cesse d’un moment à l’autre.
Je remonte vers la route pour un nouveau panoramique orienté vers le sud, afin d’avoir le lac et le buron du Pesquier Haut au-dessus duquel l’aurore rougeoie. On aperçoit également un petit bout du cœur de la Voie Lactée sur la gauche de l’image, qui semble bien fade à coté de l’aurore.
Au Pendouliou de Fabrègues, je peux composer un panoramique orienté vers l’Est, avec un format très large couvre quasiment 220 degrés d’horizon, du nord/ouest au sud/est environ. Les couleurs de l’aurore masquent une moitié de l’arche de la Voie Lactée, s’arrêtant au niveau de Vega de la Lyre (la grosse étoile visible au milieu de l’image). La partie sud de la VL est toute même légèrement teintée de rouge.
Vers trois heures du matin j’ai l’impression que ça se calme un peu (je me trompe), et je me suis tellement agité que je suis complètement cuit 😁. Il est temps de rentrer même si c’est dur d’arrêter après plus de 200 photos car ça continue. Finalement j’aurais peut-être dû y rester toute la nuit pour en profiter davantage.
Ce qui était le plus apparent et très facilement au plus fort de l’aurore, bien plus que les couleurs, ce sont ces piliers de lumière blanche présents tout le temps de l’aurore. En voiture à travers le pare-brise et avec les phares, je pouvais les distinguer sans difficulté. C’est ce que j’ai trouvé le plus impressionnant. Pour ma part un rouge foncé, pourpre, était bien visible. En revanche je ne voyais absolument pas de vert à l’œil, j’en ai juste une très légère tâche sur une photo prise au lac des Moines.
En arrivant depuis Laguiole sur la route de la Matte, ou sur celle du Pas de Mathieu pour ceux qui connaissent, c’était un spectacle vraiment saisissant en sortant de la forêt de voir au loin cette arche de lumière s’élevant depuis l’horizon en montant très haut, avec un dégradé de couleurs passant d’un blanc lumineux au ras de l’horizon nord pour se terminer par des tâches rougeâtres masquant partiellement la plupart des étoiles. Le tout était parcouru par des rayons de lumière blanche/rosée rectilignes similaires aux rayons de gloire parfois visibles lors de certains levers ou coucher de soleil. Sur le sol autour de moi, je voyais nettement la couleur pourpre, et en y repensant peut être davantage que dans le ciel.
Le soir du samedi 11, je retente une sortie proche de chez moi, mais les lueurs n’ont plus rien à voir avec la nuit précédente. je fais seulement quelques images depuis le point de vue de Cassagnes Comtaux, qui en plus n’est finalement pas très bien orienté.
Une nouvelle image de l’aurore, samedi 11 mai vers 23h00, depuis Cassagnes Comtaux
Un retour sur cette nuit.
Après toutes les images diverses et variées qui ont pu circuler sur le web suite à cette nuit, il était parfois difficile de faire la différence entre les images « réelles », et les fakes plus ou moins assumés. De nombreux commentaires laissant supposer que les photos n’étaient pas réalistes, et que l’on ne voyait pas du tout cela à l’œil. C’est le pourquoi de ce retour, en guise de conclusion.
Honnêtement, je n’ai pas du tout été « déçu » de ce que je voyais réellement à l’œil sur le moment. Je n’ai aucune expérience des aurores, mais je trouvais fantastique ce que je voyais, surtout dans le contexte de l’Aubrac qui est un lieu où nous n’avons pas pour habitude de voir ce spectacle, même s’il y a souvent des lumières magiques là-haut. Au fil de la nuit, j’ai sans doute passé plus de temps la tête en l’air simplement à regarder le ciel, qu’à en faire des photos, uniquement pour apprécier cet instant
J’ajoute une « simulation » de ce que je pouvais voir à l’œil à ce moment. Bien sûr c’est assez éloigné de l’image publiée, mais à y réfléchir un peu pas tant que ça. Je publie également une des photos composant ce panoramique, juste importée dans lightroom.
J’ai essayé de retranscrire au mieux l’impression que j’avais lors de cette nuit. Les rayons blancs restent bien visibles, une partie du paysage est légèrement éclairé, le ciel est teinté d’une teinte pourpre foncée, parfois un peu grisâtre, la route et le sol reflètent un peu cette lumière, et les sous bois sont bien sombres. Le seul éclairage visible est celui du buron du Pas de Mathieu. Il y a beaucoup moins de couleurs sur la simulation car l’œil humain ne voit quasiment rien comme couleurs par nuit noire, c’est comme ça.
Un appareil photo est beaucoup plus sensible que notre vision, il est adapté à voir la nuit. C’est pour cela qu’il est capable par exemple de capter les couleurs de nébuleuses, alors qu’à l’œil on ne voit bien souvent qu’une espèce de tâche grisâtre très décevante. Mais ce sont des couleurs qui existent réellement, ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas, qu’elles ne sont pas là. Il n’y a pas d’information modifiée ou ajoutée par rapport au moment.
Le principe est identique pour les aurores, ou toute photographie réalisée en basse lumière, l’appareil va emmagasiner la lumière et les couleurs, les « cumuler » et ainsi les rendre plus visibles. un effet accentué par le temps de pose long nécessaire pour les images de nuit, contrairement à l’œil humain qui voit un instantané, sans additionner la lumière et les couleurs. C’est la base du fonctionnement d’un appareil photo, capter le plus de lumière possible à un moment qui sera plus ou moins long, pour révéler des informations souvent invisibles à l’œil nu.
Alors est-ce qu’une photo avec une aurore toute rouge ou verte est réelle? Cela dépend du point de vue par laquelle elle est regardée. Si nous la comparons simplement à ce qui pouvait être vu sur le moment, elle n’est pas conforme. Mais d’un point de vue photographique, c’est réaliste.
Nous pouvons étendre le raisonnement à d’autres techniques photos: Une photo de Voie Lactée avec des nébuleuses roses est elle réaliste? Nous ne voyons pas ça naturellement. Les photos infrarouges ou ultraviolet sont-elles réalistes? Nos yeux ne sont pas conçus pour. Une pose longue sur de l’eau ou une circumpolaire? pas réaliste non plus. Un panoramique? pas réaliste car souvent nous ne voyons pas avec cet angle de vision. Une photo en noir et blanc? nous ne voyons pas en noir et blanc dans la vie.
Autre point davantage lié à l’observateur, d’une personne à l’autre la vision des couleurs n’est pas strictement identique, ce qui peut jouer sur le ressenti du moment, et sur le rendu des photos au final. De mon côté j’ai une très mauvaise vue, et peut-être que cela influe également mes photos. Le « rendu » de l’aurore de cette nuit tire souvent vers le rouge sur mes images, alors que l’on en voit d’autres qui sont plus rosées ou avec du vert plus ou moins prononcé. Avec des visions différentes, des lieux différents, une pollution lumineuse différente, chacun a aussi a sa réalité et sa propre interprétation du moment.
L’important est de ne pas falsifier la réalité photographique, en créant de toute pièce des images, par exemple en mélangeant un paysage avec un ciel pris à un autre endroit.
Pour en revenir à la photo « simulation » , elle est composée de 8 images verticales assemblées vu que c’est un panoramique. Son principal défaut est la déformation des rayons lumineux provoquée par la focale grand angle sur le haut de l’image alors qu’ils devraient être rectilignes, car à cet instant ils montaient assez haut. C’est rattrapable mais cela fait du traitement en plus.
Les réglages de prise de vue sont: focale 14mm, ouverture f2.0, vitesse 10 secondes, iso 1250.
Mes photos sont toujours prises depuis le même endroit, au même moment (Pas d’images composées de prises de vue réalisées avec plusieurs heures d’écart), avec la même orientation, avec une focale identique. Et je ne colle pas non plus un ciel sur un paysage situé à un autre endroit…
Au final, Après correction du vignettage car il y en a beaucoup, et assemblage du panoramique, en traitement j’ai dé-saturé légèrement de quelques points le rouge de l’aurore dans le ciel et pour le sol, trouvant l’image trop saturée, mais c’est toujours une histoire de point de vue personnel. Le sol est légèrement éclairci, avec quelques coups de dodge/burn selon les zones pour garder un peu de contraste. J’aurais également pu ajouter de la clarté pour densifier les rayons, mais je les trouve déjà bien visibles ainsi.
Parti ce soir là faire des photos sans vraiment de conviction, en espérant voir un chouia de rouge lointain sur une image, je n’ai pas été déçu du tout durant les quatre heures écoulées, même simplement en regardant ce ciel. Tout seul au long de la nuit avec uniquement un renard venu me tenir compagnie en me tournant autour, presque sans un bruit, sans vent, avec une température agréable pour l’Aubrac, les conditions étaient parfaites, c’est vraiment un moment unique que je n’oublierai pas.