L'aubrac

Ses paysages, géographie et histoire

J’habite non loin de l’Aubrac, et m’y rendre me fait à chaque fois l’effet de partir « ailleurs », comme si je m’échappais vers une autre contrée aux paysages et ambiances différents du lieu où je vis (qui est loin d’être désagréable).
De chez moi, sur le Causse Comtal, c’est bien souvent vers l’Aubrac que se portent mes premiers regards lorsque je sors. Je le vois parfois comme semblant flotter au-dessus des brumes de la vallée du Lot, ou d’autres jours disparaissant dans les nuages.
Dès mon arrivée en Aveyron j’ai tout de suite aimé parcourir ces hauts plateaux, quel que soit le temps ou la saison. Il est pour moi un lieu à part, aux senteurs et lumières différentes des alentours. cela fait plus de 20 ans que je ne me lasse pas d’en parcourir ses étendues et de le photographier au fil des saisons.

Paysage de l'Aubrac
Paysage de l'Aubrac

L’Aubrac semble inchangé depuis des siècles, une impression consolidée par le fait qu’il soit resté longtemps à l’écart des grandes voies de communication. A cheval sur 3 départements, il garde toujours son identité propre, aussi bien liée à sa géographie qu’à son histoire.
Mais s’il paraît immuable, il reste une terre très fragile, avec son lot de risques encourus comme beaucoup d’autres territoires partout dans le monde. Même si elles paraissent invisibles, les menaces sont présentes: Ses nombreuses zones humides ainsi que les sources s’assèchent et la qualité de l’eau est en baisse. Les rats taupiers labourent les estives et diminue la qualité et la diversité de l’herbe. Des parcs éoliens tentent de voir le jour sur l’Aubrac. Pour le moment il n’y en a qu’un en activité au Truc de l’Homme en Lozère, mais d’autres sont susceptibles de voir le jour malgré le Parc Naturel Régional.

Un peu de la géographie de l'Aubrac

L’Aubrac est souvent assimilé aux grands espaces, pourtant géographiquement c’est un petit territoire. Dans sa totalité, il mesure environ 50 kms sur 40 kms. Il est bordé au sud par la vallée du Lot, la vallée d’Olt comme elle se nomme dans sa partie rouergate, à l’Est par la Colagne, et à l’Ouest et et nord par la Truyère, rivière au débit souvent impressionnant, désormais domptée par de nombreux barrages hydroélectriques.
Le haut plateau en lui-même, ne représente que environ 20 kms sur 20 kms, à une altitude située entre 1000 et 1469 mètres, culminant au Signal de Mailhebiau.
C’est en arrivant du sud que l’on perçoit sans doute le mieux la rudesse ainsi que la grandeur de l’Aubrac, quelque soit la saison. Il contraste avec la vallée du Lot, au climat relativement clément, au cœur de laquelle Saint Geniez d’Olt était auparavant réputé pour ses fraises.
On s’élève ensuite de 1000 mètres pour atteindre les hauts plateaux, après avoir longé les boraldes, ruisseaux bordés de bois de châtaigniers descendants de l’Aubrac, qui se jettent dans le Lot.
Arrivé sur le haut plateau c’est un paysage semblant s’étendre à perte de vue qui se dévoile. Doucement vallonné, sans sommets acérés, seuls quelques sommets d’origine volcanique comme le Puy de Gudette ou le Roc de Cayla près de Laguiole peuvent se distinguer au milieu des estives, entrecoupées de petites vallées peu encaissées. 
Je photographie principalement le haut plateau, qui est le paysage le plus emblématique de l’Aubrac, mais j’aime parcourir ses alentours, notamment son versant sud entrecoupé des boraldes, et également la Viadène à l’Ouest de l’Aubrac entre la vallée du Lot et les gorges de la Truyère, et plus rarement le Carladez, tout au nord de l’Aubrac, mais plus éloigné de chez moi.

Situé au Sud du Massif Central, la formation de l’Aubrac résulte de l’affaissement de la chaîne Hercynienne à la fin de l’Ere Primaire. Il y a environ 320 millions d’années, du magma remonte sous les roches métamorphiques des restes de la chaîne Hercynienne, pour ensuite se cristalliser, ce qui constituera le granit de la Margeride et de l’Aubrac.

Ensuite vers 200 millions d’années, la chaîne est désormais complètement érodée et la mer recouvre le sud du Massif Central. Des sédiments sont alors déposés jusqu’au retrait de l’eau il y a 150 millions d’années.
La formation des Pyrénées il y 40 millions d’années soulève le territoire de l’Aubrac, ce qui sera encore accentué il y a 20 millions d’années par la formation des Alpes. Le plateau s’incline vers le Nord Est et accentue l’érosion, qui commence à dessiner les vallées de la Truyère et du lot, ainsi que les boraldes sur le versant sud.

Buron des Goutals
Buron des Goutals

Le volcanisme apparaît il y a 7.5 million d’années. L’essentiel du volume des laves est émis en 250 000 ans, principalement sur la ligne de « crêtes » allant du Signal de Mailhebiau au Roc du Cayla, en passant par le Puy de Gudette. C’est souvent cette ligne de crêtes que je sillonne, car elle offre des paysages dégagés que j’apprécie particulièrement.

L’Aubrac verra également plusieurs périodes glaciaires qui marqueront ses paysages, pendant lesquelles il sera recouvert d’une calotte, qui érodera les sommets, c’est particulièrement visible entre Marchastel et Rieutord, où des collines comme le Puech Gros.

Ruines vers le Puech Gros
Ruines vers le Puech Gros

Ces périodes glaciaires ont aussi contribué à la formation de quelques lacs sur le haut plateau: Les lacs des Salhiens, de Souveyrols, de Born, et de Saint Andéol auquel je consacre un portfolio.

Un peu d'histoire de l'Aubrac

Les premières traces humaines sur l’Aubrac remontent à la fin des temps glaciaires. Le territoire aurait été peuplé dès l’âge de bronze, environ 2000 à 1000 ans avant notre ère. Quelques sites préhistoriques ont été découverts, notamment près de Saint Chély d’Aubrac à Castelviel, et près de Brameloup avec les sites de coupes de pierres.

 

Il est parfois évoqué le passage sur l’Aubrac du chemin remontant à la fin du néolithique (2000 ans avant notre ère) qui reliait la Bretagne à la Méditerranée, surnommé le chemin des dolmens et des menhirs. Il fut plus tard emprunté par les Grecs qui convoyaient l’étain produit dans des mines situées proches de l’embouchure de la Loire. Ce métal était important pour leur production de bronze, alliage de cuivre et d’étain, destiné aux armes.

Sous l’ère Romaine, l’Aubrac se voit traversé par une importante voie de communication, reliant localement Rodez à Javols qui était alors la capitale du peuple Gabale, dont le nom donnera le terme « Gevaudan ». cette voie menait plus largement de Lyon à Saint Bertrand de Comminges. Elle faisait partie du réseau de voies romaines partant de Lyon, appelé Via Agrippa.

On peut encore apercevoir quelques traces de la station routière d’Ad Silanum, désormais isolée au milieu des estives.

Ce qui est peut-être dommage c’est que cette voie ne bénéficie d’aucune mise en valeur ou information, étant supplantée par l’itinéraire de Compostelle. Pourtant des traces en sont encore bien visibles par endroits.

Sur la voie romaine, forêt de Brameloup
Sur la voie romaine, forêt de Brameloup

La découverte en 838 du tombeau de Saint Jacques à Compostelle fera que plusieurs voies de pèlerinage seront crées afin de rallier Compostelle, depuis Tours, Vezelay, Arles, et en 950 par Le Puy en Velay pour la voie passant par l’Aubrac, puis en direction de Conques. 

Le haut plateau était alors quasiment déserté à cette époque. Entre l’altitude, les précipitations, les chutes de neige hivernales, le lieu n’était que très peu propice à des conditions de vie confortable.

Le tracé existant de la voie romaine devint alors fréquenté par les pèlerins, qui voyaient là le seul moyen de traverser les forêts sombres de l’Aubrac.

L’affluence de pèlerins traversant des forêts isolées et désertes devint une manne pour les bandes de brigands qui se multiplièrent  alors, rendant la traversée de l’Aubrac toujours plus dangereuse.

Ainsi selon les légendes vers 1108 un vicomte flamand du nom d’Adalard traverse l’Aubrac. Pour lui, cela a commencé pendant une triste nuit , le long d’une route solitaire de campagne, alors qu’il cherchait un raccourci que jamais il ne trouva… 

Cette habitation est un lieu d’horreur et de vaste solitude, terrible, désert, ténébreux et inhabitable, où ne croît aucun fruit, et où on ne trouve aucune nourriture pour l’homme dans un rayon de 2 ou 3 lieues, et où sont les limites des trois évêchés de Rodez, Mende et Clermont. Ce lieu, on le nomme Albrac.

Extrait de l’acte de fondation de la Domerie d’Aubrac

Il promis à Dieu que s’il sortait indemne de cette traversée, il fonderait à cet endroit un hôpital destiné à accueillir les pèlerins.  Sain et sauf, Il tint parole et à son retour sur l’Aubrac accompagné d’une vingtaine de chevaliers qui l’accompagnait il entreprit de bâtir un premier abri de fortune. Il commença à faire escorter les pèlerins, leur rendant cette traversée un peu moins dangereuse.

Son projet était toutefois plus vaste, il voulait leur offrir un lieu de repos sur le trajet, mais également aider les pauvres et soigner les malades, ainsi l’Hôpital d’Aubrac ou Notre Dame des Pauvres fut crée. le projet approuvé par le Roi de France fut soutenu par le Comte de Rodez qui lui céda des terrains, et le Vatican permis l’installation d’une communauté de treize prêtres pour gérer l’Hôpital.

Ce sont des lieux saints, maisons de Dieu, réconfort des voyageurs, repos des indigents, consolation des malades, salut des défunts et secours des vivants. Quiconque aura construit un de ces lieux accédera sans nul doute au royaume de Dieu.

Extrait du Guide du Pèlerin, par Aimeric Picaud

La Domerie et la Tour des Anglais
La Domerie et la Tour des Anglais

La construction des bâtiments ainsi que les besoins en chauffage nécessitant des quantités importantes de bois, les moines commencèrent à déboiser les alentours  A la mort de Adalard, le 5 Mai 1134 l’Hôpital d’Aubrac avait pris forme: un bâtiment hébergeait les religieux, un autre servait de lieu d’accueil aux pèlerins.

Au fil des années la réputation de l’Hôpital se propageait vers d’autres communautés relieuses et des familles nobles. l’influence de l’Hôpital prenait de l’ampleur et attirait les vocations, toujours plus nombreuses. En 1198 débuta la construction de l’important monastère. Il comportait les habitations des religieux, écuries, forge, prison, et tout se qui était nécessaire à l’exploitation de l’Hôpital. En 1353 pendant l’occupation anglaise fût bâtie la plus haute tour qui était à vocation défensive, d’où son nom de Tour des Anglais. Tout près d’elle se dresse encore la grande église, Notre Dame des Pauvres.

Entre les XII et XIXème siècles, l’importance des dons faits aux religieux d’Aubrac, qui avaient tous fait voeux de pauvreté conformément aux souhaits d’Adalard, devinrent extrêmement riches et purent consacrer toutes leurs richesses à secourir toujours plus de personnes dans le besoin.

Au XVIème siècle, quotidiennement 5000 pains pouvaient être distribués et 500 personnes accueillies.

La période des croisades puis des guerres de religion contribua fortement à l’accroissement de sa fortune, de nombreux seigneurs locaux se plaçant sous sa protection, avec généralement une clause précisant le don de leurs possessions à l’Hôpital d’Aubrac s’ils ne rentraient pas vivants, et ils ne furent pas nombreux à rentrer.

La communauté se répartissait alors entre Religieux, Frères, Dames de Qualité, Chevaliers et Donats. Ces derniers étaient chargés d’administrer les biens  et les possessions de l’Hôpital. Ils n’étaient pas réellement des religieux. Au XIVème siècle le Supérieur de l’Hôpital qui était élu par la communauté pris le titre de Dom, d’où le nom actuel de Dômerie. Les pouvoirs du Dom prirent de plus en plus d’importance, il devint un véritable seigneur en exerçant le droit de justice sur ses possessions.

La croix des Pendus
La croix des Pendus

A trois lieues d’Espalion il y a Aubrac . Nous partîmes de là accompagnés d’un vent cruel, habituel en hiver sur ces terres ; ce vent, appelé Bise, est si terrible que, quand il souffle, personne n’ose passer ces grandes montagnes. Nous ne fîmes guère attention à cela et en compagnie de deux pèlerins savoyards et d’un napolitain, lui aussi pèlerin, nous grimpâmes sur la montagne d’Aubrac, mais ce vent nous gênait tellement que nous sommes devenus noirs comme des charbons éteints, et j’ai failli mourir. Au sommet de la montagne, il y a une hôtellerie qui donne gîte et nourriture aux pèlerins qui y font halte (car au sommet il n’y a rien d’autre) . Il est tenu par de très riches moines, et dans cette hôtellerie je repris mes esprits, mais il n’aurait pas fallu que j’arrive plus tard. Nous restâmes dans cette bonne auberge trois jours jusqu’à ce que cesse le vent, qui a frappé et tué plus d’un voyageur, comme semblent l’indiquer les chapelles des morts.

Bartolomeo Fontana, 25 octobre 1539, pélerin revenant de Compostelle pour se diriger vers l’Italie. 

La communauté était indépendante, régie par les règles de Saint Augustin (en résumé: charité, pauvreté personnelle mise en commun des biens, partage des compétences), n’appartenant à aucun des grands ordres religieux, et obeissait directement aux directives du Saint-Siège. Ce qui suscita des jalousies en particulier des membres de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem  (ou Chevaliers de Malte) qui tentèrent plusieurs fois de s’approprier l’Hôpital d’Aubrac. Les possessions de l’ordre de Malte jouxtaient celles de l’Hôpital, et s’étendaient entre Marchastel et Nasbinals, leurs traces sont toujours visibles.

Croix de l'Ordre de Malte
Croix de l'Ordre de Malte

On parle beaucoup de Compostelle car c’est le pèlerinage encore aujourd’hui le plus populaire et commercial, mais à l’époque une autre voie traversait l’Aubrac. Le pèlerinage de Saint Gilles était en effet un des plus fréquenté, avant d’être oublié, et la voie menant d’Aurillac à Saint Gilles en passant par Florac traversait l’Aubrac sans doute également à la Domerie, qui était alors le carrefour de deux pèlerinages parmi les plus importants.

Ainsi les paysages d’Aubrac, autrefois couverts de forêts, prirent sous l’influence de l’Hôpital d’Aubrac leur aspect actuel de vastes paysages d’estives.

Les premières mentions de troupeaux importants remontent aux alentours de 1200-1250, années où la spécialisation de l’Aubrac pour l’élevage se précise. Mais ce sont d’abord les ovins et les chevaux qui dominent avec d’importants troupeaux appartenant à l’Hôpital. Vers la fin du  XIIIème siècle c’est le début des transhumances, avec des troupeaux de moutons provenant du Quercy pour s’installer sur des terres de l’Aubrac en location, en empruntant les drailles, chemins de transhumance.

Au XVème siècle des éleveurs tentent la fabrication de fromage de fromage directement depuis les estives, selon des techniques provenant du Massif Central, ce qui demande des infrastructures plus conséquentes, notamment le besoin d’outillages et surtout des burons.
Les transhumances longues seront freinées par les guerres de religion, et ce seront les bovins qui supplanteront les troupeaux ovins au cours des XVIIIème et XIXème siècles.

Buron d'Embournac et son troupeau
Buron d'Embournac et son troupeau

De cette époque viendra la division des hauts plateaux en « montagnes », qui correspondaient chacune à une étendue herbeuse, possédant au moins une source, et également son buron. 

Vers 1400, 30 montagnes portent déjà leur nom actuel, et les parcelles évolueront très peu jusqu’à aujourd’hui, si ce n’est souvent leur division en « Haut », « Bas » et « Milieu » la plupart du temps, comme les Buron du Trap Haut, du trap du Milieu ou du Trap Bas. 
Au passage, « Trap » est une des anciens termes désignant les burons. 

Le paysage prend alors sa forme actuelle, avec sa division en 300 montagnes, séparées généralement par des murets de pierres.

Buron du Trap Haut
Buron du Trap Haut

La forêt a alors quasiment disparue du haut plateau, Il subsiste cependant quelques bois anciens aux alentours des Truques et de Brameloup, ainsi sur les contreforts de l’Aubrac, des lieux qui sont souvent moins propices à l’élevage.

Au XXIIIème siècle, les caractéristiques particulières de la race Aubrac commencent à se dessiner, au fil des sélections engagées par les moines de l’Hôpital d’Aubrac.